El testament d’Amelia – partie 2

Nous voici donc avec une première partie analysée. Entretemps je me suis préparé pour l’analyse de la suite, car il y avait des zones d’ombre, et je ne pouvais pas le faire en direct comme pour la première partie. Je vais donc aller plus rapidement au but, mais dans la réalité j’ai beaucoup bataillé, et fait des découvertes importantes (pour moi, car elles existent depuis au moins 3 siècles).

Sans plus attendre, on part du texte, la deuxième partie, de 8 mesures aussi :

Et l’extrait audio, car c’est tellement fréquent de faire de l’analyse sans écouter la musique, que je m’y interdis ici :

Comme pour la première partie, la première étape consiste à empiler les boules correctement pour reconnaître les accords. On commence par enlever la mélodie, on « met à plat » :

J’ai même mis les tablatures. On a dit qu’on veut entendre, donc on joue ces accords :

Maintenant la technique des boules, que je devrais breveter. Pour chacun de ces accords, on enlève les octaves, et on arrange pour que les boules s’empilent :

A partir de maintenant commence l’analyse. On voit du ré mineur sur 4 mesures. On a déjà la moitié. Mesure 2 c’est un magnifique accord diminué. On voit tout de suite la septième diminuée caractéristique, fa♯-mi♭. C’est le renversement d’une seconde augmentée, mi♭-fa♯. C’est la seconde augmentée que les gammes mineures mélodiques veulent éviter. Et donc ce fa♯ est une sensible qui nous mène à sol, c’est la gamme de sol mineur. Donc, cet accord est un emprunt à la gamme de sol mineur. Et dans notre contexte sol mineur est le degré IV de ré mineur. Cet accord est donc un VII/IV.

Mesure d’après on aurait pu s’attendre à avoir un IV, vu qu’on avait un VII/IV. Mais Llobet en a décidé autrement. On a encore une septième diminuée, do♯-si♭. Sûr ? On met à l’envers : si♭-do♯. On compte les demi-tons : si♭-si 1, si-do 2, et do-do♯ 3. Un ton et demi, donc bien seconde augmentée. Donc même raisonnement, on est sur une gamme de ré mineur. On est sur nous même. Donc VII tout court. Logiquement derrière on devrait avoir un ré mineur. Cette fois oui, c’est le cas !

Pour résumer les quatre premières mesures : I VII/IV VII I

Les VII ont la même fonction que les V, donc on peut réduire à I IV V I. Et si on est en jazz, on met II au lieu de IV. Donc 2 5 1 encore. J’ai pris des raccourcis, je reconnais.

On en arrive à l’accord n°5. C’est ma découverte théorique de l’année. Si on le prend tel quel à la guitare on a :

Si on regarde seulement le schéma des doigts, il n’y a pas de doute, c’est un B♭7 (ou A♯7). Mais au niveau des notes, ce devrait un la♭ au lieu de ce sol♯. Au lieu d’une septième mineure, on a une sixte augmentée. Dans mes lectures j’ai souvent vu des accords chiffrés « +6 », mais jamais dans la vraie vie. Quand il y a « + » dans un chiffrage, ça indique une sensible. Ici une sensible de la. Comme par hasard l’accord suivant est un La 7.

Là on rentre dans l’histoire des sixtes françaises, italiennes et allemandes. Je crois qu’on est dans le cas de la sixte allemande, mais je suis encore trop novice pour l’affirmer. Et dans tous les cas c’est un VII de quelque chose. VII/V pour nous.

On aurait pu me demander pourquoi je n’ai pas aligné les boules comme il faut pour cet accord :

C’est une très bonne question. C’était ma première idée bien sûr. Mais regardez ce premier intervalle : sol♯-si♭. Comptons sur nos doigts : sol la si, tierce. Les écarts : sol♯-la demi-ton, la-si♭ demi-ton. C’est donc une tierce d’un ton, une tierce diminuée. Jamais vu ! Si tu retournes cette chose, tu as une sixte augmentée. A partir de là la littérature m’a aidé…

Pour conclure cette deuxième demi-phrase : VII/V V I I.

Si on voulait en faire un standard de jazz, on a tout ce qu’il faut pour ces 2 premières phrases :

Mais mais mais, il manque deux parties encore. C’est vrai, la suivante c’est la partie avec harmoniques. Et si on regarde bien les notes, c’est les mêmes !

On vérifie, deuxième ligne : la sixte augmentée est toujours là…

Et la fin alors, avec la mélodie en basse ? Pareil :

Et Miguel n’a pas oublié la sixte augmentée, qu’il a mise à l’aigu cette fois. Idem pour tous les accords, ils sont tous identiques.

Voici donc ce morceau analysé de bout en bout. Au départ je voulais m’en inspirer pour harmoniser mes thèmes. Maintenant je me rends compte qu’il y aurait de quoi faire une thèse avant. Je pense aussi que la musique s’apprenait différemment, j’ai lu une méthode d’harmonie de Carulli de 1825 dans laquelle on retrouve tous ces accords de manière pratique. Et comme pour beaucoup d’autres sujets de l’harmonie, Bach maniait la sixte augmentée deux siècles avant Llobet.

1 commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *