Dans les traités d’harmonie, dans la partie sur les cadences, on trouve toujours la cadence parfaite, la demi-cadence, la cadence plagale et la cadence rompue. On a beau le lire des centaines de fois dans des dizaines de traités, cela n’a aucun intérêt tant qu’on n’a pas de vrais exemples d’application de ces notions qui ne sont que théoriques.
Pour la cadence parfaite, on a en a parlé et vu de nombreux exemples dans l’article sur la quarte et sixte de cadence. En effet derrière l’accord de quarte et sixte, on avait deux accords qui sont la cadence parfaite (V I) :

La cadence rompue se nomme ainsi car elle vient rompre cette cadence pourtant parfaite. On garde l’accord de dominante sol, mais ensuite on place au lieu du do majeur un la mineur, degré VI. On pourrait juste remplacer la basse du deuxième accord, et on voit qu’on a un la mineur (avec 7ème en plus). Ça sonne ainsi, je joue la cadence rompue puis la parfaite :
Mais en harmonie ce n’est jamais si simple. On veut bien avoir un V VI, mais on tient à la conduite des voix. Or dans l’enchaînement qu’on a imaginé, et que je n’écrirai pas car il est incorrect, on a un grave problème, c’est qu’on a une quinte consécutive. Maudit soit-on ! C’est pécher que d’écrire ceci. La quinte dans le sol majeur c’est sol-ré. Et dans le la mineur, c’est la-mi. Consécutives car c’est les mêmes voix qui font ces quintes. La basse sol-la, et la deuxième voix, le ténor, ré-mi.
Tous les traités posent dès le départ cette interdiction, puis certains essaient ensuite de justifier par des pirouettes pourquoi c’est pas bien. Une histoire de changement brutal de tonalité. Dans la réalité en guitare, on s’en moque bien, car quand on joue des accords les voix ne sont pas strictement séparées.
Donc notre cadence rompue doit s’écrire comme ça :

Ce n’est pas très pratique à la guitare, mais c’est dans les règles de l’art. Observez la machination qui s’opère : on a les deux quintes dans les accords, mais elles ne sont pas créées par les mêmes voix. Le mi du la mineur ne vient plus du ténor ré, mais de l’alto fa. On voit bien là que ces considérations n’ont pas beaucoup de sens à la guitare.
J’écris cet article pas seulement parce que je suis confiné, mais parce que j’ai trouvé cette cadence rompue dans la pavane de la belle au bois dormant de Ravel. C’est ici, cette fin de phrase :
J’ai cherché et retourné dans tous les sens ces deux accords finaux, je savais que c’était une cadence, c’est évident qu’on clôture une phrase. Je m’attendais à une cadence exotique, une cadence ravélienne par exemple. Et la lumière surgit, c’est une bête cadence rompue, regardons :
Piano 1 :

Piano 2 :

Le premier piano a clef de fa et clef de sol, alors que le deuxième deux clefs sol (ce qui me semble une très bonne idée).
En réalité je l’ai analysé sur une transcription pour guitare :

Si on compare les voix par rapport à notre exemple, on a en commun fa-mi , si-do, et sol-la. Tout ! CQFD. On a certes pas le sol à la basse, c’est un renversement avec 7ème à la basse (un accord +4). Pour le la mineur, on pourrait croire qu’on a un mi à la basse, donc un accord de quarte et sixte, mais le la de basse arrive avec un temps de retard. Et il est magnifique ce la grave, la conclusion idéale.
Et évidemment dès que je mets les choses sur papier d’autres détails surgissent. Je veux parler de la quatrième voix, que Jerrold Hyman n’a pas retranscrit à la guitare, joué par la main gauche du piano 1 : mi-la-la (c’est lui le beau la grave). Donc mi ! Dans mon accord de sol dominante ! Une sixte. C’est un coup dur pour ma théorie. Mettons ces quatre mains à plat :

Le transcripteur a carrément enlevé la basse ! Alors que toute analyse se base sur la basse.
Pour conclure, cadence il y a, mais rompue c’est à débattre.