Les douloureux frottements de secondes

Lorsque j’ai découvert la partie théorique de l’harmonie, après le jazz, j’ai été pris d’une envie d’analyser tout ce que je connaissais et découvrais dans mes lectures. Je me contentais souvent des débuts de morceaux. Le Stabat Mater n’y a pas échappé.

J’ai pris une partition pour orgue et voix. Pour l’analyse des accords c’est plus facile que l’originale, dans laquelle toutes les voix sont séparées (2 violons, 2 chantes, 1 bass) et dans des clefs barbares (uts et compagnie).

Je commence par une technique que je tiens du jazz, je chiffre tous les accords, peu importe les renversements. Puis je devine les fonctions (I II III) et les tonalités

Puis… ça s’arrête là en réalité. Quelque fois je repère une quarte et sixte de cadence ou de passage, mais pas beaucoup plus.

Voici mon « analyse » :

C’est un brouillon, sûrement plein de fautes. Cela permet déjà de pouvoir accompagner, et de dégager une certaine logique.

L’étape d’après, quand je suis très motivé, c’est de vouloir le jouer à la guitare. C’est rarement faisable à la volée (pour moi), je passe par le papier. De manière assez surprenante il y a peu de changements à faire : changer des voix d’octave, enlever les choses impossibles à jouer. Pour cet extrait voici ma transcription :

Et à la guitare, joué pour le transcripteur :

En y travaillant encore quelques années, ça pourrait sonner bien ! Mais j’ai triché… je n’ai pas réussi à intégrer fidèlement la voix du haut, j’ai dû faire un mix des deux :

Comme il y a deux violons sur cette première ligne, et j’ai pris celui présent sur les blanches (alterné), et ignoré les noires (on les retrouve quand même dans l’arpège).

C’est à ce moment que j’ai réalisé que l’introduction des deux violons correspond exactement aux premières mesures chantées par les castrats (à l’époque de Giovanni) quand ils entrent.

Violons :

Voix :

C’est différent et pas pareil tout de même, alors que c’est les mêmes notes. Avec les violons les mélodies se mélangent plus, alors que les voix se laissent la place.

Voilà sur MuseScore ce que ça donne :

Je l’ai ralenti et fait jouer par un son d’orgue pour qu’on entende bien cette superposition des deux voix. Observons ces intervalles :

En tenant en compte du fait que les notes sont tenues, on a pour ces six temps encadrés en bleu : fa-sol, sol-la♭, la♭-si♭, si♭-do, do-ré♭ et ré♭-mi

Donc : ton, demi-ton, ton, ton, demi-ton, et ton et demi . Trois secondes majeures, deux secondes mineures, et… une seconde augmentée ! Mais c’est interdit ça ! Ah mais non le mi est une octave en dessous (comme par hasard), donc c’est une septième diminuée. C’est un malin ce Pergolèse, et il n’avait que 26 ans.

Ces secondes-là, mentionnées dans le livret intérieur du CD que je possède, m’ont longtemps intrigué : « les douloureux frottements de secondes ». Cette expression énigmatique est devenue une évidence à ce moment-là. Il s’agit d’une traduction de l’allemand, d’une présentation de Werner Pfister (je n’ai rien trouvé sur lui, c’est un préfaceur de cd) : « schmerzlich reibenden dissonanten Sekund-Intervallen ». Le mot est dit, ignoré par le traducteur : « dissonanten ».

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